Au nom de la loi, je vous marie
Je rêve de me marier.
C’est mon rêve actuel, le plus fou, je ne dirai pas
que c’est une obsession mais j’avoue y penser de plus en plus souvent.
Je rêve de me marier. Donc.
J’entends déjà les sarcasmes. En cinq mots et un
point, j’ai réussi à me montrer extraordinairement banale. Une fille de mon âge
qui commence son texte par « je rêve de me marier » et poursuit par « j’y
pense de plus en plus souvent » ne doit pas avoir grand-chose dans la tête.
D’une seule phrase, j’ai réussi à éveiller en toi, des préjugés instantanés. Je
t’entends penser. À moins que je sois parano. Ou les deux.
J’ai vingt-deux ans et je rêve de me marier.
Ouhahahahaha. On avance. Que de rêves fous.
Qui suis-je ? Les préjugés, encore les préjugés.
Porté-je des lunettes estampillées d’un gros et magnifiquement ridicule D&G ? Mon sac est-il un Chanel (faux bien sûr) ? Mon
papa roule-t-il en BMW et ai-je simplement
commandé comme première voiture une Classe
A ? Sors-je mon troisième Iphone
de mon beau sac Lancaster Soft Vintage
à tout bout de champs ? Pourquoi le troisième ? Parce que je me
serais fait voler les deux premiers à cause de mon habituelle inattention et
ma légendaire désinvolture ? On
continue ? Non j’arrête là et je vais désintégrer immédiatement tes préjugés.
J’ai vingt-deux ans, je rêve de me marier et j’ai déjà
tout prévu pour ce jour qui sera grand. Un an que j’y pense. Un an…
Le cocktail, le jour, la tenue, le budget, les témoins,
la soirée, et le mari bien entendu ! Tout est dans ma tête.
Alors,
dis, dis, dis, si ça fait un an que t’y penses, ça doit déjà être grandiose !
Calme, calme. J’ai dit que j’y pensais
depuis un an. En gros, j’y ai pensé pour la première fois il y a un an. Voilà
tout. Tout cumulé, je ne suis pas certaine d’y avoir réfléchi plus d’une heure.
Bon tu veux tout savoir alors pose des
questions.
Le cocktail ? Le repas de la cérémonie
se déroulera à midi, on va donc peut-être s’en tenir à un apéro classique, le
cocktail serait un peu violent à cette heure de la journée.
Le jour ? Ça sera un jeudi. Pourquoi un jeudi ?
Je ne sais pas, c’est un jour que j’ai toujours aimé.
La tenue ? J’ai pensé à tout. En ce moment, j’ai
pas un rond donc je vais recycler un truc dans mon placard. Je m’imagine déjà
arriver à la mairie, vêtue de mon jean le plus ancien, celui qui me fait les plus
belles fesses. En haut, comme j’ai déjà prévu que ça serait en plein hiver, en
janvier ou février, j’ai pensé à un beau pull en cachemire. Je n’en ai qu’un (c’est
que c’est pas donné le cachemire) et il fera l’affaire.
Le budget ? C’est là que ça coince. Un témoin
chacun, bon, on partage, chacun invite son témoin. Si on va à la brasserie que
j’aime bien de la rue Daguerre, on n’est pas loin de la mairie du quatorzième,
dix minutes à pieds et la formule du midi ne dépasse pas les douze euros
quatre-vingt. Avec le vin et le dessert, je peux m’en tirer pour cinquante
euros apéros compris.
La liste des invités ? Elle est déjà faite, je
dois avouer que trente secondes ont été nécessaires pour l’établir. Les deux témoins
seront les uniques invités.
Comment ? Les amis, la famille ? La famille
c’est vite fait je n’en ai pas. Prévenir Max de mon mariage c’est au dessus de
mes forces (sauf si c’est lui le marié mais là, faut dire que c’est mal barré).
Les amis ? Je passe tous mes coups de fil le samedi, ils sauront donc que
je suis mariée.
Pardon ? Je ne sais pas qui est le mari ? Euh...
Bon déjà, en préambule, j’annonce au futur marié, quel qu’il soit, qu’il est
hors de question qu’il se radine à notre mariage vêtu d’un treillis, d’un
baggy, de baskets ou autres converses. Je le veux décontracté mais classe. Pour
la tenue, au minimum il fait comme moi : un jean ou un pantalon et des
chaussures. Ah oui, si le futur marié, futur papa, futur gendre et même futur
grand-père pouvait être brun et un peu plus grand que moi ou au pire à ma
taille, ça m’arrangerait. Pardon ? Ai-je au moins une idée, même vague de qui
il peut s’agir ? Non, et puis celui que je veux, je l’ai perdu à cause d’une
vague histoire de jalousie, une histoire stupide et si anecdotique. Disons que
Maria la jolie bassiste, si brune, si italienne, si honteusement pleine de
talent, si douée pour la rythmique, si capable de jouer les secondes voix,
cette bassiste qui fait partie du même groupe que lui, a perdu quelques cheveux
dans cette histoire, mais bon, rien de dramatique. Moi j’ai perdu mon Max,
alors hein... Je ne peux donc pas te répondre sur le marié. Il existe, il est
quelque part, ça c’est sûr, ma main à couper.
Pour le trajet, comme je l’ai déjà dit, c’est idéal,
j’habite Paris Alésia dans le quatorzième arrondissement, pas besoin donc de
prendre le métro pour me rendre à la mairie, je ferai tout à pieds. Pas besoin
d’anticiper le quart d’heure de métro plus l’éventuel incident qui me ferait
perdre vingt-cinq minutes. Il faudra tout de même que je sois ponctuelle un
minimum, ça la fou mal de se réveiller à dix heures et demi pour un rendez-vous
à la mairie à onze heures. Donc, programmer le réveil à neuf heures, ça sera
parfait.
Et le voyage de noce dans tout ça ? Eh bien
figure-toi que j’ai décidé de faire comme tout le monde : ce sera un avion
qui nous transportera sur une île lointaine qui abritera un hôtel désert et
dans lequel nous louerons une suite luxueuse. Pardon ? Tu te demandes si
je suis sérieuse ? Bien sûr que non ! Je suis fauchée en ce moment et
la brasserie va déjà me coûter bien cher, j’ai donc déjà fait une croix sur le
voyage de noce et puis de toute façon, les trips organisés style « Club
Merde » ou autres « pyramides de Kheops » en voyage organisé en
compagnie de compatriotes soixante-dix ans d’âge ou quadragénaires ou pire
trentenaires jeunes vieux, quatre enfants, baskets, chaussettes blanches, la
banane et les Ray Ban aviateur, c’est vraiment pas mon truc. Pas plus que
Disneyland, les plages privées de Juan-les-Pins, la peau cramée, Ibiza, David
Guetta, Courchevel, les tire-fesses, remonter les pistes, descendre les pistes,
remonter les pistes, descendre les pistes, remonter (...), descendre (...) Non
vraiment, tout ça, ce n’est pas pour moi. Ne te méprends pas, je ne juge
personne et je suis certainement une pauvre fille de penser de comme ça. De
toute façon, je suis allergique à cette matière qui s’appelle « ostentation ».
Certains ne supportent pas l’argent ou l’or sur leur peau. D’autres sortent la
Ventoline à la moindre poussière qui vole ou à la moindre odeur d’humidité. Mon
allergie à moi, elle porte le nom d’ostentation... Les marques en tout genre, ça
me dépasse. Quand je pense qu’on paie Titi Henry des millions pour porter du « Juste
fais-le » et moi, pour un tee-shirt avec la simple virgule, il me faudra débourser
entre vingt et trente euros, c’est scandaleux tout de même (vous m’accorderez
que le fameux joueur de hand, à moins que ce soit de foot, non, non, c’est bien
dans le handball qu’il excelle lui, est exposé de par le monde certes, mais je
vous assure que, quand autrefois je grimpais les chemins escarpés des Buttes
Chaumont avec un Nike sur le dos, il y avait des tas de regards de mecs en
direction de mes... de ma... virgule et je peux t’assurer que j’étais un écran
de pub ambulant) c’est toujours les mêmes qui paient je vous jure...
Bon, revenons à nos moutons, le mariage... Ah le
mariage. Quelle magie ! Je n’ai abordé, comme toute jeune femme désirant
se marier, que l’aspect matériel en premier lieu. Mais finalement, quelque soit
la façon dont on va s’unir, n’est-ce pas l’amour qui prime ? S’unir pour l’éternité
avec celui que l’on aime... C’est beau, romantique, j’en ai déjà la chaire de
poule... Et l’instant ou l’adjoint au maire nous proclamera mari et femme, je
sais que ce moment là sera inoubliable, frissonnant, si intense... Si j’arrive à
garder mon sérieux. C’est vrai quoi. Dommage que je ne sois pas croyante car un
prêtre ou un pasteur qui vous unit devant le Seigneur, ça a plus de classe qu’un
adjoint au maire qui a sûrement mieux à faire à onze heure un jeudi matin. Donc
il me faudra garder mon sérieux lorsqu’il dira: « Au nom de la loi, je
vous marie ! », parce que moi je vais penser à « Je vous arrête ! »
et là je vais m’imaginer l’inspecteur gadget qui va débarquer : « Gogo
gadget aux menottes ! »
C’est un peu ça le mariage : au nom de la loi,
je vous menotte. L’un à l’autre. Sauf que ce n’est pas un jeu sexuel, c’est
bien le mariage.
Et je n’ai que vingt-deux ans.
Et c’est flippant.
Je n’ai pas envie de me marier, en fait.
PS : Quatre autres nouvelles sont disponibles dans la rubrique MANUSCRITS du site de Léo Scheer.