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Dessine-moi un roman
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24 juillet 2010

Sur une île, quelque part, jamais seul

_le_d_serteLe bateau tangue de plus en plus fort. Les flots le submergent, je sais maintenant que mes heures, mes minutes sont comptées. Cette traversée au bout du monde, c'était une aventure pour moi. J'avais peu vécu jusqu'à ce moment là, je devais me rattraper. L'avion je ne supportais plus. Le crash récent du vol Rio-Paris avait clairement montré qu'en cas d'avarie, on n'a aucune chance de survie. Sur un bateau, même en cas de tempête, on a une chance, si infime soit-elle. Et puis, même si on y reste, on a le temps de s'y faire, plus que les quelques nanosecondes qu'il reste lorsqu'un avion pique du nez. Quand le bateau est sur le point de se retourner, quand il tangue dans tous les sens, le vacarme des flots, du vent, du tonnerre qui gronde, couvrent les hurlements des passagers qui n'entendent que leur propre angoisse.
Le bateau a pris l'eau de toute part, nous sommes contraint d'embarquer sur un canot de sauvetage, j'ai pu emmener avec moi un petit sac que j'ai rendu étanche. Nous sommes une petite dizaine sur la seule barque qui a pu être sortie (les autres passagers semblent s'être noyés), la tempête n'est pas terminée, nous avons tous enfilé un gilet de sauvetage, il ne nous reste plus qu'à prier. C'est fou dans ces moments là ce qu'on devient croyant. Il ne reste plus que ça. Je dis "on devient", mais je dirais plutôt "ils deviennent". Pour ma part, j'ai mon sac collé à moi, ce qu'il contient est ma religion. Si je dois mourir, je veux l'avoir avec moi. Le canot gonflable n'est pas assez costaud pour soutenir la dizaine de personne qui n'attend plus grand chose de la vie. Il finit par prendre l'eau et couler à son tour. Je sens que je coule, mon sac me tire vers le bas, mais ma bouée me retient à la surface. Je dois quand même fournir de sacrés efforts pour me maintenir à flot. La tempête diminue et je me laisse dériver. Les autres passagers ont disparu, aucun n'a suivi ma trajectoire. Je hisse mon sac sur la bouée et m'y accroche avec mes bras. Je suis si épuisé que si je lâche la bouée, je suis mort. J'ai envie de rire car, je hisse mon sac sur une bouée au détriment de ma sécurité, de ma vie.  Mais je sais aussi que si je le perds là tout de suite, ma vie sera en plus grand danger encore.
Le jour se lève et je vois une île. Je nage, je nage, je nage, le désespoir me sert de carburant. Lorsque j'arrive sur une plage de galets, je m'écroule et pense que je vais mourir d'épuisement. Je dors. Pas longtemps car le soleil tape fort et m'étouffe.  J'ai atterri sur une petite île. J'en fais le tour, elle est déserte. C'est bien ma veine, jusqu'ici j'avais toujours été persuadé que ça n'existait plus les îles désertes. Je panique car j'ignore si je serai capable de survivre. La présence d'un cocotier me rassure, je pourrais boire et manger un minimum. Pour le reste, je sais que même si j'ai passé ma vie dans un bureau, je finirais bien par me débrouiller, construire une cahute, apprendre à faire des feux et à pêcher avec un putain de bâton. Je sais que je vais avoir faim, froid, chaud. Mais je sais aussi que ce dont j'ai rêvé (me retirer du monde sans pour autant mourir) me terrifie. Je risque d'être seul pour très longtemps. Et si on ne retrouve aucun signalement du bateau qui a coulé ? Et si j'étais le seul survivant ? Et si personne d'autre ne s'en est tiré, comment me retrouvera-t-on ? Il faut que je me fasse à l'idée, je suis seul, je suis perdu au bout du monde, je vais devoir jouer mon Robinson Crusoé.

Mais j'ai mon sac, je m'empresse de l'ouvrir et constate que mon système a fonctionné et qu'il n'a pas pris l'eau. Mes cinq livres, mes cinq CD et mes cinq DVD sont toujours intacts. J'aurais pu emmener un lecteur MP3 blindé de musique, un Ipod avec des centaines d'albums, un petit ordinateur avec des dizaines de films. Mais ce matériel couteux est resté chez moi. Je n'avais jamais vraiment crû que ça m'arriverait à moi.  Une chose si incroyable et si banale : un naufrage, seul survivant sur une île déserte.

Le jour du départ, j'ai préparé un petit sac de survie car le matin même avant donc de prendre ce putain de bateau, mon horoscope a dit : "Attention au danger, parez-vous au maximum de toutes mauvaises surprises" J'étais au Cap, le bateau larguait les amarres vers 17h, j'ai couru dans tous les sens afin de trouver le matériel pour rendre mon sac étanche, mes 5 livres, mes 5 cd et mes 5 DVD. Le plus dur, c'était de trouver les versions françaises. J'ai failli rater mon bateau. J'y ai embarqué mes bagages classiques (deux gros sacs à dos de vêtements) plus ce sac de survie. J'ai aussi glissé dans ce seul sac que j'ai pu sauver, quelques graines de tomates, de café, un petit stock de sucre, une cartouche de cigarettes, de la Ventoline (3 tubes exactement), un petit lecteur DVD portable qui fait office de lecteur de CD, mes livres bien sûr, et le must du must, une petite station électrique solaire sur laquelle je pourrai brancher mon lecteur de DVD.

Mais mon oxygène, ça reste encore mes 5 livres. Impensable de vivre sans. Cinq livres c'est peu. C'est pourquoi je me devais de les choisir comme si ma vie en dépendait. Le premier c'est un Balzac. J'avais voulu emmener "La peau de chagrin" ou "Le père Goriot" mais j'avais déjà emmené dans mes bagages la correspondance de Balzac avec Madame Hanska, un pur bonheur de 1604 pages et qui vaut tous les romans du monde. Une correspondance qui se soldera par plusieurs rencontres et qui débouchera sur un mariage. Je suis heureux de l'avoir à peine entamée, j'ai peut-être l'éternité pour le dévorer. En deuxième livre, j'ai choisi "Des vents contraires" d'Olivier Adam. Il est moins long, mais ce livre, je peux le relire encore et encore. J'ai embarqué "Les déferlantes" de Claudie Gallay puis le recueil de nouvelles de Stefan Zweig intitulé "La peur". S'il devait me rester un seul livre au monde, ça pourrait être celui-là que je choisirais. Enfin, le choix du cinquième a été laborieux. Un livre que j'ai aimé, qui m'a transcendé et que je dois être capable de relire encore et encore jusqu'à plus soif. J'ai choisi et je vais en décevoir beaucoup : "Je l'aimais" d"Anna Gavalda. Aucun autre livre ne m'a autant touché. Cette histoire d'amour au demeurant banale, prend une tournure, une forme, qui me laisse à chaque fois triste, mélancolique mais qui étrangement me donne envie de la vivre. J'ai toujours envie de serrer Mathilde dans mes bras, de la réconforter, de ne pas reproduire les erreurs de Pierre... Ce livre ouvre chez moi une fibre romantique.

Sur les films, c'est encore plus compliqué. Comment choisir 5 films ? Sur quels critères, quels genres ? J'ai failli ne pas décider, puis je me suis dit, 5 films c'est mieux que rien. J'ai choisi en premier lieu, le film de mon enfance, le film que j'aimerai toujours visionner quand bien même il est dépassé. Il est et restera un classique : "Retour vers le Futur". Chers trentenaires, je vous vois sourire derrière votre écran. Je choisis of course la version française dont je connais chaque réplique par cœur. Ce film, c'est comme les Rocky, je ne peux pas le visionner en V.O, c'est trop culte, trop sentimental. En seconde position, je choisis le fou rire assuré, à savoir le meilleur De Funès : "Oscar". Une intrigue à tiroir, des quiproquos à la pelle, des pétages de plombs à tous les étages, le cynisme de de Funès que je préfère largement à ses grimaces, bien que ces dernières ne manquent pas de me bidonner. En troisième choix, j'ai emmené "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain" de Jeunet. Je sais que je vais encore me faire traiter de midinette mais j'aime profondément ce film que je visionne au minimum une fois par an, voire plus. Ensuite, comme j'ai décidé ne pas embarquer deux films d'une même série, il n'a pas été facile pour moi de choisir entre "l'Auberge Espagnole" et les "Poupées Russes". Choix cornélien. Encore un choix commercial on me dira. Je répondrai que j'assume parfaitement. J'ai choisi les "Poupées Russes", choix sentimental qui me renvoie à une époque de ma vie que je qualifierais d'agréable. Il me reste un film. Un seul. Je n'ai pas hésité, je suis resté chauvin et j'ai choisi "Je vais bien ne t'en fais pas" de Philippe Lioret.

Il me reste à dévoiler mes cinq CD's. Il y a forcément un Depeche Mode et un Lennon. Je suis pour l'album. Je bannis donc l'idée d'une compilation des meilleurs titres. Je perdrais forcément beaucoup mais je choisis 5 albums, c'est comme ça que je conçois une œuvre. Comme dans un livre, on ne déchire pas juste les passages les plus importants pour jeter le reste, on garde le tout : le bon et le moins bon. Pour Depeche Mode, le choix est vraiment difficile. Comment choisir un album sur une telle carrière ? Prise de tête énorme en perspective. J'ai fini par choisir "Exciter", le mal aimé. Un album doux et moins déprimant que les autres. Qui me renvoie aussi à une période de ma vie qui était franchement sympa. Ensuite, pour Lennon, j'hésite, je tergiverse et fini par choisir le premier : "Plastic Ono Band". Je suis déchiré à l'idée de ne pas avoir emporté l'album "Imagine" cependant. Mais il fallait choisir. Ensuite, j'ai emmené avec moi un Bénabar. Je vous raconte pas la galère que ce fut pour le trouver en Afrique du Sud à Capetown. Un véritable miracle. Des voisins de chambres français qui connaissaient un gars qui connaissait un gars qui connaissait un français qui était fan. Pourquoi Bénabar ? Besoin de bonne humeur, de musique qui ne se la pête pas, de démystification. Voilà. J'ai dégoté "Infréquentable" le dernier album en date, j'ai pas moufté, j'étais bien content. Après Bénabar, j'ai choisi un classique, un must, un album que je qualifierais de géniallissime: "Moon Safari" de Air. J'ai bien sûr longuement tergiversé car j'aime toute leur oeuvre, leur petit dernier "Love 2" est un bijou, "10.000Hz Legend" est phénoménal, mais encore une fois, je reste fidèle au concept album et je ne cèderai pas à la facilité compilation. Ensuite, il en restait un, j'ai gardé le meilleur pour la fin, certainement l'un des albums qui m'a le plus marqué : "Mezzanine" de Massive Attack, une claque intersidérale que j'ai reçue en l'écoutant à l'âge de 18 ans et dont je ne me suis toujours pas remis.

Je ne sais pas combien de temps va durer cette vie d'ascète et de sauvageon. J'ai réussi à survivre à une tempête, à me payer le luxe de sauver l'essentiel pour ne pas devenir fou. Je n'ai pas non plus oublié  d'emmener deux carnets assez épais avec 2 ou 3 stylos, ce qui me permettra d'écrire.

J'ai de quoi survivre, j'en suis certain...

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