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Dessine-moi un roman
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8 décembre 2010

Working Class Hero (Partie 1)

20   

   

    Des hurlements...

    Il est étendu au sol à demi-conscient. Elle est en pleurs, agenouillée au dessus de lui, inondant son visage. Les flics viennent de débarquer et d’emmener l’assassin qui n’a opposé aucune résistance. Une ambulance surgit, le bruit des sirènes est assourdissant.

    – John, John, tu m’entends ? lui hurle-t-elle.
   – Oui, je… t’entends, bégaie-t-il avant de s’évanouir un instant, puis de reprendre conscience l’instant d’après.

    Une flaque de sang se répand sur le sol marbré du hall d’entrée de l’immeuble. Policiers et médecins sont très préoccupés. Il est emmené dans l’ambulance, son cas semble désespéré. Sa femme est montée et lui tient la main. Elle l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle. Il répondra à la question d’un médecin sur le trajet l’emmenant à l’hôpital, puis rendra l’âme deux minutes plus tard. Il aura perdu trop de sang.

    Je suis un lâche. J’ai tout vu et je n’ai pas réagi. Je suis sorti de la limousine uniquement lorsque l’assassin a été menotté et emmené. En ce mois de décembre 1980, j’ai démissionné, quitté New York pour rejoindre la côte Ouest afin de tout recommencer, digérer, tenter d’oublier. La distance n’y a pas changé grand chose, le temps estompe peut-être mais il n’efface rien.

*

    J’étais donc chauffeur. Un job qui ne m’a jamais réussi, que je pourrais même qualifier de porte-malheur me concernant.

    J’ai débuté dans ce métier en 1974 à l’âge de vingt-quatre ans. J’ai commencé comme chauffeur de bus à Chicago. Il m’a fallu moins de neuf mois pour me tailler une réputation d’enfer. Un accident, un séjour aux urgences, des blessés dans mon bus, les passagers de la camionnette qui nous a percutés et qui sont tous décédés, carbonisés sur la grande avenue. Je n’y étais pour rien. Je le jure, j’étais simplement au mauvais endroit au mauvais moment. La camionnette avait grillé un feu rouge à un croisement et défoncé, à plus de soixante-dix miles à l’heure, le côté du bus. Je m’en suis bien tiré avec un simple choc et quelques pansements. L’enquête avait révélé que cette camionnette fuyait la police suite à un braquage ou quelque chose comme ça. En grillant le feu au croisement, les gangsters avaient joué le tout pour le tout et avaient perdu. J’ai été officiellement dédouané de toute responsabilité mais cet événement a jeté sur moi l’opprobre dans ma boite. Mon avenir était scellé, j’étais forcément un mauvais, celui qui roulerait toujours à vide, que les passagers éviteraient comme la peste. Les meilleurs conducteurs, eux, n’étaient jamais percutés. On a fini par me virer sous un prétexte fallacieux, j’ai bien sûr acquiescé et postulé ailleurs. Ma réputation avait fait le tour de la ville, alors mon père, qui était proche du maire de Chicago, a usé de ses influences pour convaincre le patron d’une importante compagnie de taxi de m’embaucher. Bien que réticent, il a fini par accepter. Mon père, je le désespérais. Il me nommait « Bill, le sans ambition ». À ses yeux, j’étais un éternel adolescent irresponsable, il ne me pardonnait pas l’abandon de mes études. Il ne comprenait pas ma passion pour la musique. J’étais un fou des Beatles, des Clash, des Stones, d’Hendrix, des Ramones, de Bowie et de toute la scène rock. Je jouais de la guitare dans un groupe qui s’appelait « The Renegade ». On était convaincu de notre succès à venir. On ne pensait tout de même pas devenir les nouveaux Beatles, mais on s’imaginaient jouant dans des stades. J’exhibais avec fierté ma grosse Gibson électrique, me laissais pousser la mèche, Lennon m’habitait. Je ne vivais que pour ça, passais mon temps à écrire et à composer. Trente-cinq ans plus tard, j’avoue que mon écriture ne cassait pas des briques, je n’étais probablement pas doué pour ça, mais j’y croyais, ça me faisait du bien. J’étais souvent défoncé lorsque je rentrais d’une session live avec mon groupe et mon père lui, ça le traumatisait. Il était mort de trouille à l’idée que je conduise sous l’emprise de Marijuana ou pire de LSD et que je cause un accident mortel. Il ne me croyait pas lorsque je jurais, la main droite levée, que je ne conduirai jamais sous emprise de quoi que ce soit.

    Deux années ont passé. Deux années riches en rebondissements dans ma vie. La dissolution de mon groupe suite à l’arrestation du chanteur, qui avait trucidé sa petite amie à coup de lames de rasoir, dans un trip d’acide un peu trop relevé. Ma décision d’abandonner la musique, le traumatisme que m’a causé cet épisode, l’arrêt total des drogues, y compris du cannabis. Deux années de travail sans embrouilles, sans camionnette qui vous fonce dessus parce qu’elle échappe à un braquage, deux années pendant lesquelles j’ai enfin pu quitter mes parents, louer mon propre appartement. Tout devenait enfin facile. Mon meilleur pote était mon taxi. Je ne le conduisais pas, c’était lui qui traçait la route. Même si ça m’a pris du temps, je l’ai vraiment apprécié ce métier. J’ai beaucoup appris des autres, en les transportant simplement d’un point A ou un autre point A. J’ai également appris à gérer la peur, le stress. Un soir, un type, passé minuit, a sorti une hache de son sac, sans prévenir. Lorsqu’il s’est rendu compte de mon angoisse à la vision de son objet tranchant, il a éclaté de rire, m’expliquant que je n’avais rien à craindre, qu’il n’allait pas s’en servir contre moi. J’ai alors mimé un soulagement mais mon estomac est resté crispé, surtout lorsque le sourire de l’homme s’est transformé en sérieux déroutant, glacial. Qu’entreprenait-il ? L’emmenais-je sur le lieu d’un crime à venir ? J’ai ensuite appris à gérer mes émotions, à ne plus tout observer, à ignorer les comportements des passagers les plus louches. J’ai appris à m’adapter à quiconque.

    Fin 1977, j’ai transporté Sophie, une jeune française. La femme la plus élégante du monde, probablement. De mon monde, sans aucun doute. La foudre s’est abattue sur moi instantanément. Il faisait nuit, la route était déserte, je ne regardais plus devant moi. Les yeux émeraudes taillés en amande de Sophie étaient hypnotisant. Elle ne m’a pas jeté un regard, j’étais transparent. Elle n’a même pas remarqué que je ne regardais plus la route. Sinon elle m’aurait prévenu qu’un gros camion était arrêté devant nous. Ça nous aurait évité de nous encastrer dedans et de finir à l’hôpital de Chicago...

(à suivre)

dépôt légal @2010

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Commentaires
M
Eh...pas mal! Il y a ce petit quelque chose qu'on aime bien! Euh ..oui, disons que "j'aime bien". Je parts mais je reste, bref je vais dans la pièce d'à côté pour lire la suite!:-)
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