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Dessine-moi un roman
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21 décembre 2010

Un mur entre nous (Partie 1)

    mur_de_briquesNous marchons côte à côte. Il est bientôt dix-huit heures et nous allons nous dire au revoir. J’ai un nœud à l’estomac. Comme chaque fois que nos chemins se séparent pour de trop longs jours. Ces moments si courts et si intenses que nous partageons sont à la fois un moteur et une source de frustration.

    Il s’appelle Raphael. Il est mon cadet de six ans. Le rencontrer a bouleversé ma vie. Sa présence m’a réveillée. Non que j’étais plongée au fond du précipice, rongée par une dépression galopante, mais j’étais éteinte, tout simplement. Comme tant de vieux couples, le mien s’est effiloché. Maille par maille, point par point, méticuleusement. Avec les malheureuses conséquences que cela peut entrainer. De mon côté tout du moins. Mon mari, lui, doit en avoir conscience mais il déploie tous les efforts possibles pour sauver du naufrage, notre navire à la coque endommagée par le sel des années. Moi, j’ai activé le pilote automatique, j’ai perdu la joie, la spontanéité, j’ai oublié pourquoi je suis là, pourquoi je fais tout ça, pourquoi on continue à partager une vie qui ne nous rassemble plus que par le souvenir. Ma vie avec Paul est derrière moi je le sais. De belles photos, de beaux moments, une belle nostalgie. Oui c’est ça, c’est le mot nostalgie qu’il convient d’utiliser. J’ai lu récemment une citation de Neil Bissondath à ce sujet : « La nostalgie vient quand le présent n’est plus à la hauteur des promesses du passé ». On nage en plein dedans. Les promesses pleuvent au début d’une relation. Puis, sans que l’on ne s’en aperçoive, les aveux pleuvent, les désaveux également. Puis l’on en vient à l’habitude, il ne peut plus rien nous arriver, ni en bien ni en mal. On fait un beau mariage, un bel enfant, on noue de belles relations avec les beaux (parents, frères et sœurs), on achète une maison, celle de ses (modestes) rêves. On trouve des emplois mieux payés, plus stables, on s’arrange pour accorder nos horaires afin de se retrouver plus facilement et on finit par ne plus voir que l’autre. Le voir seulement. On ne le retrouve pas, on ne le retrouve plus, on l’a perdu depuis longtemps. Bref, c’est là où j’en suis avec Paul. Quand je rentre, je suis de plus en plus exaspérée de le retrouver ou plutôt de nous retrouver et de répéter inlassablement les mêmes gestes, les mêmes cérémoniaux. Je ne fréquente que lui, ma vie personnelle, je l’ai réduite à néant. Je ne suis plus moi, je suis nous… Et puis, il y a un mois de ça, j’ai rencontré Raphael et tout a changé en moi. Je suis devenue une énième femme adultère qui se cache pour retrouver son prince charmant, celui qui d’un seul baiser vous a réveillé d’un coma qui vous avait semblé irréversible.
On s’arrête devant ma petite Fiat Cinquecento. Il est garé juste derrière moi. On se retrouve tous les jeudis. Il habite Paris, on se retrouve à dix kilomètres de chez moi, à Fontainebleau. Ma copine Jeanne me prête son appartement, elle est la seule au courant de ce qui se trame, elle me soutient, me pousse à vivre ces moments. Peut-être parce qu’elle-même entretient une relation avec un homme marié, ou tout simplement parce que c’est une amie, une vraie. En fait, pour ces deux raisons, je retrouve Raphael et le lit de ma copine Jeanne tous les jeudis. J’ai aménagé mes horaires, je quitte le travail à quinze heures pour retrouver mon amant un quart d’heure plus tard. Raphael est lui, beaucoup plus libre. Il est célibataire, vit seul à Paris, il est intermittent du spectacle, acteur de théâtre. Il écrit également pour le théâtre, il caresse le rêve de mettre en scène, tout un programme.

*

    Je l’embrasse fougueusement, me blottis contre son torse, repoussant le moment de le quitter. Il se libère de mon emprise, me rappelle que la route est fréquentée et que nous risquons d’être vus. Au point où j’en suis je m’en fiche, je me prends même à espérer que Paul découvre le pot aux roses, qu’il jette mes affaires dehors. Puis je me ravise, rien n’est simple. On a notre petit Tom et je l’aime ce petit bout. C’est mon fils, mon bouchon, mon petit ange blond. Je refuse qu’il souffre. Mon bonheur passe après le sien. Alors je reste, j’essaie de tenir et si tout doit changer, tout changera calmement, sereinement. Il n’a même pas deux ans, il peut tellement souffrir. Et puis je ne veux pas le perdre. Si on ne me confiait pas sa garde j’en mourrais. Je suis la fautive dans cette histoire, je trompe mon mari, je gagne ma vie moins bien que lui, mon emploi est menacé, les rumeurs et les vents de licenciements soufflent forts dans ma direction. Et Paul adore son fils. Et si je perdais la garde de mon p’tit Tom ? Et s’il ne voyait plus sa mère quotidiennement ? Quelle vie lui proposerait-on ? 

*

   Raphael se tient debout devant moi, il me fixe de ses yeux rieurs et tendres. Je pourrais fuir au bout du monde avec lui. Je l’aime. Je n’ai pas encore osé le lui dire. J’ai peur qu’il me prenne pour une folle désespérée prête à le harceler. Alors je me tais. C’est lui qui prend la parole :

    – Je t’aime, il me dit.

    Je reste bouche bée. Une chaleur m’envahit, mes pensées se mélangent. Je pense à Tom mon petit bouchon, j’ai l’impression qu’il me regarde, je pense à Paul mon mari et je m’en veux tout à coup de le trahir, il a toujours été présent, il est un bon mari, un papa fantastique, il est courageux. Je le déteste tout à coup d’être un homme bien.

    – Je… vais y aller.

    Je monte dans ma voiture, démarre, il reste à côté de ma portière. J’ouvre la vitre, il s’abaisse à mon niveau et je lui dit :

    – Moi aussi.


    Je l’attrape par le col et nos lèvres se rejoignent de nouveau. On se donne rendez-vous à Jeudi prochain physiquement, à ce soir sur MSN…

*

    Je suis de retour chez moi, Paul prépare le dîner. Lorsque je franchis le pas de la porte, il sort de la cuisine, un tablier autour de la taille, il sourit, s’approche de moi et m’embrasse sur le front. Je me recule immédiatement, je reste à bonne distance. J’évite son regard. Il me dit qu’il est heureux de me voir, que la journée a été difficile, que je suis son rayon de soleil, sa raison de vivre…
Nous passons à table, je ne décroche pas un mot. Je ne suis pas là je le sais. Même avec mon petit Tom je me sens distante. Je lui ai fait prendre son bain machinalement, je ne l’ai pas vraiment regardé. Je plombe l’ambiance je ne peux pas faire autrement. Paul me sert du rôti de bœuf qu’il dit avoir préparé avec amour. Il me propose du vin, il a acheté une bouteille de Chilien, notre péché mignon à tous les deux. Il remplit mon verre, je pense à Raphael.


    – Qu’est ce qui ne va pas ? il me demande.

    – Pardon, tu disais ? je lui réponds bêtement.
    – Dis-moi ce qui te préoccupe et ne me dis pas que tout va bien.
    – Si, si je t’assure Paul, tout va bien. Pourquoi ça n’irait pas ?

    Et là je suis à un doigt de tout lui raconter. L’envie me brûle. Je sais que je tiens entre mes mains une bombe qui une fois lancée, causera d’importants dégâts. Probablement irréversibles.

    – …
    – C’est encore ton boulot ? Tu as eu des mauvaises nouvelles ?
    – Euh… Oui, non. Pas de mauvaises nouvelles. De mauvaises rumeurs.
    Je me hais. Je ne peux pas. Pas comme ça, pas devant Tom. Pas maintenant.
    – Tu sais, les rumeurs, il faut les prendre avec des pincettes. Et souvent, elles sont créées dans le but de faire peur, de déstabiliser.
    – Oui je sais. Merci Paul pour ce repas. C’est très gentil de ta part.
    Paul se lève, se poste derrière moi, il s’abaisse et m’enlace.
    – Tu n’as pas à me remercier, c’est normal, ça me fait plaisir…
    Je suis tendue. Comme si mon meilleur ami m’enlaçait. Comme si Paul n’avait aucune légitimité à me toucher.
    – Détend-toi ma chérie.

    Il pose ses mains sur mes épaules et entame un massage. Je me lève brusquement, prends Tom dans mes bras, je dis que je l’emmène au lit. Je gagne du temps. Paul ne réagit pas, il se rassied à la table, allume une cigarette.
    Tom s’endort vite, il semble épuisé. Il est vraiment trop sage. Il n’est pas très dynamique, il joue peu. Il a toujours été comme ça. Pensif et mystérieux dès deux ans. On ne l’entend pas. On en a toujours été conscient avec Paul, on l’a toujours stimulé, entouré de tout notre amour. Mais depuis quelques temps, je le trouve plus éteint qu’à l’accoutumée…
    Tom ne m’a pas rendu service, il s’est endormi (trop) rapidement. Lorsque je suis de retour, Paul termine sa deuxième cigarette. Il m’attend à la table de la cuisine, il s’est resservi du rouge, j’ai à peine touché à mon verre.

    – Dis-moi ce qui cloche, il me dit d’un ton un peu plus grave qu’auparavant.

    Je vais tout lui dire, c’est certain, je ne peux plus reculer. J’inspire tout en fermant les yeux. En les rouvrant, je le fixe.

    – Y a rien qui cloche, je suis fatiguée Paul. Tout me fatigue. Ça peut paraître déplacé de dire ça après le mal que tu t’es donné ce soir mais c’est comme ça. Les temps sont difficiles. Le printemps approche, on va pouvoir relâcher la pression…
    Je me hais bien évidemment. Je suis bloquée je ne parviens pas à le lui dire, je prie même pour qu’il change de sujet, je prie pour qu’il n’ait pas deviné et tente de m’extirper des aveux.

(à suivre...)

dépôt légal @2010

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Commentaires
A
joli,joli texte.
R
Je ne vais pas te "spoiler", mais en fait l'action de Lettres Majuscules se passe vingt-deux ans après Un mur entre nous et c'est la fille du couple de cette histoire qui vient au monde un peu plus tard qui écrit des lettres pour laver son linge sale avec sa mère Abigaëlle, son père Paul et son frère Thomas...
H
Oui, oui ne t'en fais pas je n'ai pas confondu ANARCHIE et LETTRES MAJUSCULES. Mais en ce qui concerne ce dernier, j'avais eu l'impression qu'il s'agissait d'un sujet plus léger que UN MUR ENTRE NOUS. Tu me diras que je ne peux pas savoir car je n'en ai pas lu une seule ligne ! :-) C'était juste une impression...
R
Oui un point de départ à Lettres Majuscules. Celui dont je t'ai lu des extraits, c'est Anarchie, n'oublies pas qu'il y en a deux sur le deux en ce moment, plutôt Anarchie, j'ai laissé un peu de côté Lettres Majuscules...
H
Salut Reno !<br /> <br /> J'avais vraiment aimé ce texte ! Par contre je ne savais pas qu'il avait servi de point de départ à LETTRES MAJUSCULES. Tu as dit ça dans un précédent post, je crois.
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