Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dessine-moi un roman
Dessine-moi un roman
Newsletter
25 décembre 2010

Un mur entre nous (partie 3 - Fin)

fissure    Je suis désespérée. Cela fait deux jours que je suis sans nouvelles. Son téléphone mobile est sur messagerie, son profil Facebook n’a pas été actualisé. Je lui en veux, je ne comprends pas son attitude envers moi. Je ne pense plus qu’à lui. Plus il est silencieux et plus il m’obsède. J’essaie de faire bonne figure devant Paul qui est toujours à mes petits soins. J’ai encore éclaté en sanglots à table et j’ai eu droit à un câlin juste après. Curieusement, j’ignore si c’est l’idée de penser que mon histoire avec Raphael puisse prendre fin, mais j’ai accepté ce câlin de bonne grâce. Je me suis blottie dans ses bras, je me suis laissé aller. Ses mains se sont baladées partout sur mon corps. J’avais oublié la chaleur des grandes mains de Paul. On n’avait plus fait l’amour depuis de longs mois et mes souvenirs commençaient à s’estomper. J’ai frissonné lorsqu’il m’a caressé et mordillé les seins, lorsqu’il a sorti son pénis que j’ai branlé spontanément et mis dans ma bouche… J’ai aimé lorsqu’il m’a prise, doucement au début comme s’il avait peur de me casser, puis de plus en plus sauvagement. On n’efface pas d’un trait de crayon ou de curseur une histoire de plusieurs années. Après quelques minutes de contacts, la mémoire nous est revenue intégralement. On se souvient alors que l’on connaît le corps de l’autre dans les moindres détails, on sait comment le faire réagir, l’inverse également.
    Lorsque nous avons terminé, je suis mélangée de honte et de culpabilité. Envers qui ? À cet instant, c’est la brouille générale dans mes pensées. Qui trompé-je ? Culpabilisé-je envers Paul ou envers Raphael ? Qui trompé-je réellement ? Paul est allongé à mon côté, il s’endort, son visage indique un apaisement total. Il semble heureux. Je sais qu’il a beaucoup souffert de notre absence totale de sexualité pendant de longs mois. Il a si souvent tenté d’évoquer le sujet et j’ai si souvent esquivé cette délicate question devenue problématique au fil du temps. Je cesse de l’observer et ferme les yeux en pensant à Raphael. Il me manque, j’aimerais tant qu’il soit à mes côtés. J’espère vraiment passer le week-end en sa compagnie dans deux semaines, j’ai finalement parlé à Paul d’un week-end shopping entre filles à Paris avec Jeanne (que ferais-je sans elle). Il n’a manifesté aucune réticence à l’idée de me laisser partir. Il ne soupçonne rien. Il pense même que c’est une bonne idée, que j’ai besoin de « fun » dans ma vie, qu’un peu d’insouciance en compagnie de ma meilleure amie me fera le plus grand bien…
    Lorsqu’il a évoqué ma venue à Paris, Raphael m’a promis un pique-nique sur le Pont des Arts, un câlin sur les quais de Seine, puis une balade dans ses quartiers préférés du vingtième : nous partirions de chez lui à Jourdain, descendrions au parc de Belleville, remonterions, descendrions la rue des Pyrénées jusqu’à Gambetta et irions nous désaltérer sur l’une des terrasses bordant ce quartier. Nous continuerions notre descente de la rue des Pyrénées, bifurquerions sur la gauche, emprunterions l’avenue de Bagnolet, tournerions à droite afin de visiter le quartier de l’Ilot Saint-Blaise. Nous continuerions notre marche jusqu’à Maraîchers et nous rendrions sur la petite ceinture, chemin de fer abandonné qui encerclait un Paris autrefois bien plus petit qu’aujourd’hui. Je ne connais aucun de ces endroits. J’ai juste noté ce qu’il m’a décrit et grâce à google maps, j’ai pu retracer notre chemin, je l’ai déjà parcouru une centaine de fois en m’imaginant marcher à son côté, ma main dans la sienne, croisant mes doigts aux siens, oubliant la rumeur de la ville, oubliant qu’une autre vie existe, a existé, oubliant quelques heures durant Paul et même Tom, retrouvant la magie envolée de mes vingt ans (qui n’étaient pas si magiques que ça d’ailleurs). Raphael m’a promis un repas sur une péniche, une sieste dans le parc des Buttes Chaumont et tant d’autres endroits encore. Je sais pertinemment que le temps nous limiterait dans nos activités et je sais plus encore que nous improviserions tant, que jamais nous ne parviendrions à respecter le quart du programme que nous nous serions fixé. Il est probable que nous resterions au lit vingt-quatre heures d’affilée, à faire l’amour dans toutes les postures possibles, à nous épuiser mutuellement, à fusionner nos sexes et nos corps, nos pensées également. À mélanger nos sueurs et nos cheveux, à échanger des regards front contre front dans le flou de l’autre. Nous serions si fatigués que nous commanderions des pizzas et l’un de nous s’habillerait succinctement, oubliant chaussettes et sous-vêtements, afin d’acheter chez l’épicier du coin, à vingt-trois heures trente, une bouteille de rouge à trois fois son prix…
    Paul me sort de ma rêverie qui m’a déclenchée un sourire et provoqué une mélancolie extrême. Il me propose un verre de rouge et une cigarette, j’accepte. Nous rejoignons le salon nus. Il cherche la meilleure bouteille qu’il nous reste et finit par la trouver. Il n’en reste qu’une en réserve, elle ne peut être par conséquent que la meilleure. Tandis qu’il la débouche, je m’affale sur le canapé et mon coude heurte la télécommande. La télévision s’allume. Le journal du soir diffuse son angoisse. Paul manifeste son mécontentement et me demande de couper cette agression soudaine. Je suis bien d’accord avec lui. Mon index s’approche du bouton rouge de veille lorsque la présentatrice évoque un fait divers dramatique. Mon doigt effleure le bouton mais n’appuie pas.

« Polémique à Alfortville dans le Val de Marne après le décès d’un automobiliste qui, la nuit dernière, a heurté un mur de plein fouet à plus de cinquante kilomètres par heure. Selon les témoins de l’accident, il aurait vraisemblablement emprunté une impasse. A la décharge du malchanceux conducteur, aucun panneau ne signalait l’impasse au bout de la rue. Un mur venait d’être érigé et il était décoré d’un grand trompe l’œil. L’absence d’éclairage en cet endroit de la rue aurait surpris le conducteur qui s’est encastré dans le mur de béton. Raphael Bontemps, âgé de vingt-huit ans est décédé sur le coup. Une enquête a été ouverte afin d’établir les responsabilités. Les riverains avaient déjà déploré l’absence de signalétique concernant ce mur et plus encore les pannes à répétitions des éclairages urbains… »

    Mon doigt appuie fort sur le bouton rouge. Ma main, inerte, ne retient plus rien. La pression du doigt éteint la télé et me fait lâcher la télécommande qui tombe sur sa tranche et libère le capot qui retient deux piles. Les deux piles sont éjectées, l’une vers la fenêtre et l’autre sous le canapé. Paul me félicite. Mon corps ne répond plus. Mon cerveau vient de tout éteindre, comprenant que c’était l’unique solution immédiate pour ma propre survie. Je reste immobile, flasque, telle ces poupées que je parvenais à hisser non sans difficultés sur leur deux pieds et sur lesquelles il m’arrivait de souffler afin de les faire tomber. À ce moment, tout est douloureux, j’aimerais ne plus être là où je suis, mais encore moins me trouver ailleurs. J’aimerais simplement disparaître. Paul me parle :
    – C’est con ça. Pauvre gars. Tu imagines ce qui a dû se passer dans sa tête quand il a réalisé qu’il allait s’encastrer dans un mur ? S’il a eu le temps parce qu’à cinquante ou soixante à l’heure, c’est même pas certain qu’il ait pu réaliser.
    Je tourne la tête et lui lance un regard haineux. L’espace d’un instant, je regrette qu’il n’ait pas été à la place de Raphael. Puis je me raisonne, je ne souhaiterais pas une telle fin à mon pire ennemi et encore moins au père de mon enfant. Et puis, qu’aurais-je dit à sa place ? Qu’aurais-je pensé ? Pauvre gars, je me serais probablement dit.
    Mon cerveau a activé le pilote automatique. J’ai envie de vomir, d’hurler, de vider mon corps de toutes ces larmes lourdes et inutiles que je porte et qui m’alourdissent, de monter à bord de ma petite Fiat, foncer jusqu’à cette rue d’Alfortville qui m’a volé mon amour et mes rêves, d’accélérer et de foncer droit vers ce mur qui me délivrerait de cette affliction et me permettrait de rejoindre Raphael immédiatement dans l’éternité. Mon pilote automatique en a décidé autrement. Je ramasse la télécommande, referme le capot dessus, en oublie les piles, je n’ai de toute façon pas le courage de les ramasser. Je jette ensuite la télécommande de cette maudite lucarne sur le canapé. Je ne réponds rien à Paul et m’assieds à la table. Il me sert du rouge et continue :
    – Je sais que c’est glauque de penser à ça, mais s’il t’arrivait un truc pareil, j’aurais envie de mourir. Je crois que si j’avais appris qu’il t’était arrivé ça, j’aurais pris la voiture et serais allé m’encastrer dans ce mur.
    C’est surement la plus belle chose que Paul m’ait jamais dite. Je réalise la teneur de ses sentiments envers moi qui aie émis la même idée quelques instants auparavant. Je lève mon verre et nous trinquons.

*


    Je sais que les prochains jours vont être difficiles. Je sais aussi que je vais me raccrocher à ce que j’ai construit, à ceux qui m’aiment, à ceux que j’aime et à celui que j’espère aimer de nouveau. Demain matin dimanche, je vais me lever, m’occuper de Tom, embrasser Paul, me rendre au marché afin d’acheter de quoi faire un bon plat (c’est à mon tour de cuisiner je crois) et tenterai de chasser Raphael de mon esprit. Je prierai pour qu’il n’ait jamais existé, je prie déjà…

Fin

dépôt légal @2010

Publicité
Commentaires
M
J'aurais cru que le personnage de la femme allait soudainement avoir une espèce d'illumination à la grec... peut-être est-ce mieux que cela soit le destin qui fasse certains choix difficil.. Comment fait-on pour se mettre dans la peau d'une femme?<br /> Très bonne histoire j'ai pris bcp de plaisir à la lire!
H
Bonsoir ! <br /> <br /> Je me permets de vous contacter pour vous parler du site artistique le Hangar, qui publie régulièrement des chroniques artistiques (littérature, cinéma, musique...) ainsi que des créations d'internautes (textes, photos, peintures, dessins, BD, vidéos...), VOS chroniques et créations !<br /> <br /> Par ailleurs, jusqu'au 29 décembre, le site organise un DOUBLE CONCOURS - littéraire et pictural - avec pour thème "La Naissance", et il y a des LOTS à la clé ! Nous vous invitons donc à y participer dans la catégorie que vous souhaitez (Pour plus de renseignements, l'article sur le site vous expliquera tout).<br /> <br /> Au plaisir, et à bientôt j'espère !<br /> <br /> http://le-hangar.com<br /> <br /> Hazel, du Hangar.
Dessine-moi un roman
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité