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Dessine-moi un roman
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6 janvier 2011

Ses livres dans ma bibliothèque (partie 2)

fee_livreSalon du livre,  – Porte de Versailles, Paris 15e

   Une heure. C’est le temps qu’il m’a fallu pour me retrouver face à elle. Elle est jolie. Plus que jolie, elle est charmante. Timide mais rieuse, réservée mais conviviale. C’est mon tour. Mes mains sont moites, je sors un livre de mon sac. Bingo, je ne sors pas un livre d’elle, je sors un polar dont elle n’est bien sûr pas l’auteur. J’aurais pu le sortir et m’en rendre compte immédiatement. Non, je sors le mauvais bouquin, l’ouvre à la première page et le lui donne afin qu’elle le dédicace. Elle rit, m’explique qu’elle n’est pas certaine d’imiter à la perfection la signature de son homologue écrivain décédé. Elle dit qu’elle me comprend, l’auteur du livre que je lui tends n’étant plus de ce monde, autant m’adresser à l’un de ses homologues si je désire une dédicace coûte que coûte… Je rougis, bégaie, m’excuse. Quel nul. Je fouille dans mon sac et comble du comble, j’ai oublié son dernier roman. Quel con.
   La situation est saugrenue. Elle me propose de dédicacer sur une feuille. J’accepte. Elle fait la demande d’une feuille blanche. Nous patientons. Les lecteurs qui me précèdent s’impatientent, je le sens bien. Je me retourne, m’excuse à voix haute en levant ma main droite qui atterrit malencontreusement dans la face d’une demoiselle qui n’apprécie que moyennement ma maladresse malgré mes plus plates excuses. Je me retourne et fais de nouveau face à l’auteur. Elle est maintenant attendrie par à ma… connerie, soyons honnête, appelons un chat un chat. Du haut de mes vingt-neuf ans, mon expérience m’a souvent montré qu’attendrir une femme quelle qu’elle soit n’est jamais un bon point, surtout lorsque l’on est amoureux d’elle.
   Elle obtient sa feuille immaculée et me demande mon nom… Je suis bloqué, écarlate, je ne réponds pas. Je ne sais plus comment je m’appelle. L’impatience des autres grandit, mon auteur favorite commence à s’interroger sur ma santé mentale, elle sourit moins, jette un regard inquiet sur la queue qui s’agrandit, je suis sur le point de déguerpir. Je finis par remettre un peu d’ordre en mon for intérieur tempétueux et lui communique enfin mon prénom. Elle élabore un petit dessin, le peint avec ses gouaches, écrit quelque chose. Je m’interroge alors sur l’utilité de mon déplacement. Des comme moi, elle doit s’en coltiner à longueur de dédicaces. J’espérais quoi en venant ? Qu’elle tombe amoureuse ? Qu’elle me griffonne son numéro de téléphone afin que nous nous retrouvions le soir même autour d’un verre ?
    Elle me tend la feuille, se fend d’un grand sourire. Je reste figé. Elle s’adresse à moi :

    – Vous voulez un verre d’eau ?

    Manquait plus que ça.

    – Non, je… non, non, tout va bien, merci.
   – Je ne vous propose pas un Lexomil, j’ai terminé la boite la nuit dernière, elle me dit, narquoise.
    – …
    – Au revoir jeune homme.

   Les filles qui me succèdent me poussent gentiment sur le côté et d’un naturel désarmant, sortent chacune le dernier roman de l’auteur. L’une insiste même pour lui faire la bise. L’auteur accepte volontiers, elle se penche et tandis qu’elle claque une bise à son admiratrice, un flash s’active, son amie immortalisant ce moment.
   Dans un monde idéal, j’aurais sorti le bon livre, adopté la même attitude que ces deux jeunes femmes. Je leur aurait même demandé de prendre la photo à ce moment là. Seulement voilà, j’ai trop de respect envers cet écrivain pour en faire une bête de foire. Je trouve si inélégant de prendre en photo une personnalité quelle qu’elle soit, de la sorte. L’idiot qui me précédait dans la file d’attente ne lui a même pas demandé de dédicace. Il a pris une photo avec son téléphone, et ultime dédain, a demandé à l’auteur si elle pouvait sourire. Notre charmante star s’est prêtée à ce jeu. La connaissant, je suis sûr qu’elle l’a détesté ce jeu. Et notre abruti de la remercier en ajoutant : « C’est pour ma mère, au cas où elle vous connaisse, elle sera contente, j’ai plus que deux stands à faire et je pourrai rentrer chez moi. »
    Je reste sur le côté, figé. Je pense que je commence à inquiéter la galerie, l’auteur jette sur moi un œil interrogatif. Je m’excuse. Elle interrompt sa signature :

    – Je vous demande pardon ?
   – Ne me demandez pas pardon, c’est moi qui m’excuse. Je… Voilà, j’aurais dû certainement vous écrire pour ça, mais je voulais vous dire merci pour… pour votre œuvre, je me reconnais dans vos écrits.

    Elle perd patience.


    – Ce sera tout ?
    – Presque.

   Les deux jeunes filles quittent le stand, me haïssant probablement d’avoir gâché ce moment auprès de leur auteur culte. La personne suivante n’osant pas avancer, j’en profite pour reprendre la place, face à l’auteur.

    – Je vous écoute, si vous avez presque terminé, me dit-elle.

   J’arrache une petit bout de la belle feuille dédicacée, griffonne mon numéro, mon adresse mail ainsi que mes noms et prénoms, lui donne, espérant recevoir de ses nouvelles un jour prochain. La jeune attachée de presse, vissée à ses côtés, intercepte le bout de papier et me demande maintenant de laisser la place aux autres. L’auteur est embarrassée. Elle ne contredit pas sa jeune collègue, me jette au contraire un regard désolé. Je prends vraiment congé cette fois, je me déteste, j’ai tout fait foirer, maintenant on me prend pour un maniaque ou quelque chose du genre.
   Je quitte le salon du livre la mort dans l’âme, me rends au MacDo, commande à emporter, mange mon Big Mac sur le grand boulevard, assis sur les deux dernières marches de l’entrée du métro. Une fois mon repas englouti, j’allume une cigarette, me relève et, d’un pas lent et désinvolte, prends la direction du tram. Je me hais...

(à suivre...)

dépôt légal @2010

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