Ses livres dans ma bibliothèque (partie 2)
Salon du livre, – Porte de Versailles, Paris 15e
Une heure. C’est le temps qu’il m’a fallu pour me retrouver face à
elle. Elle est jolie. Plus que jolie, elle est charmante. Timide mais
rieuse, réservée mais conviviale. C’est mon tour. Mes mains sont moites,
je sors un livre de mon sac. Bingo, je ne sors pas un livre d’elle, je
sors un polar dont elle n’est bien sûr pas l’auteur. J’aurais pu le
sortir et m’en rendre compte immédiatement. Non, je sors le mauvais
bouquin, l’ouvre à la première page et le lui donne afin qu’elle le
dédicace. Elle rit, m’explique qu’elle n’est pas certaine d’imiter à la
perfection la signature de son homologue écrivain décédé. Elle dit
qu’elle me comprend, l’auteur du livre que je lui tends n’étant plus de
ce monde, autant m’adresser à l’un de ses homologues si je désire une
dédicace coûte que coûte… Je rougis, bégaie, m’excuse. Quel nul. Je
fouille dans mon sac et comble du comble, j’ai oublié son dernier roman.
Quel con.
La situation est saugrenue. Elle me propose de dédicacer sur une
feuille. J’accepte. Elle fait la demande d’une feuille blanche. Nous
patientons. Les lecteurs qui me précèdent s’impatientent, je le sens
bien. Je me retourne, m’excuse à voix haute en levant ma main droite qui
atterrit malencontreusement dans la face d’une demoiselle qui
n’apprécie que moyennement ma maladresse malgré mes plus plates excuses.
Je me retourne et fais de nouveau face à l’auteur. Elle est maintenant
attendrie par à ma… connerie, soyons honnête, appelons un chat un chat.
Du haut de mes vingt-neuf ans, mon expérience m’a souvent montré
qu’attendrir une femme quelle qu’elle soit n’est jamais un bon point,
surtout lorsque l’on est amoureux d’elle.
Elle obtient sa feuille immaculée et me demande mon nom… Je suis
bloqué, écarlate, je ne réponds pas. Je ne sais plus comment je
m’appelle. L’impatience des autres grandit, mon auteur favorite commence
à s’interroger sur ma santé mentale, elle sourit moins, jette un regard
inquiet sur la queue qui s’agrandit, je suis sur le point de déguerpir.
Je finis par remettre un peu d’ordre en mon for intérieur tempétueux et
lui communique enfin mon prénom. Elle élabore un petit dessin, le peint
avec ses gouaches, écrit quelque chose. Je m’interroge alors sur
l’utilité de mon déplacement. Des comme moi, elle doit s’en coltiner à
longueur de dédicaces. J’espérais quoi en venant ? Qu’elle tombe
amoureuse ? Qu’elle me griffonne son numéro de téléphone afin que nous
nous retrouvions le soir même autour d’un verre ?
Elle me tend la feuille, se fend d’un grand sourire. Je reste figé. Elle s’adresse à moi :
– Vous voulez un verre d’eau ?
Manquait plus que ça.
– Non, je… non, non, tout va bien, merci.
– Je ne vous propose pas un Lexomil, j’ai terminé la boite la nuit dernière, elle me dit, narquoise.
– …
– Au revoir jeune homme.
Les filles qui me succèdent me poussent gentiment sur le côté et d’un
naturel désarmant, sortent chacune le dernier roman de l’auteur. L’une
insiste même pour lui faire la bise. L’auteur accepte volontiers, elle
se penche et tandis qu’elle claque une bise à son admiratrice, un flash
s’active, son amie immortalisant ce moment.
Dans un monde idéal, j’aurais sorti le bon livre, adopté la même
attitude que ces deux jeunes femmes. Je leur aurait même demandé de
prendre la photo à ce moment là. Seulement voilà, j’ai trop de respect
envers cet écrivain pour en faire une bête de foire. Je trouve si
inélégant de prendre en photo une personnalité quelle qu’elle soit, de
la sorte. L’idiot qui me précédait dans la file d’attente ne lui a même
pas demandé de dédicace. Il a pris une photo avec son téléphone, et
ultime dédain, a demandé à l’auteur si elle pouvait sourire. Notre
charmante star s’est prêtée à ce jeu. La connaissant, je suis sûr
qu’elle l’a détesté ce jeu. Et notre abruti de la remercier en ajoutant :
« C’est pour ma mère, au cas où elle vous connaisse, elle sera
contente, j’ai plus que deux stands à faire et je pourrai rentrer chez
moi. »
Je reste sur le côté, figé. Je pense que je commence à inquiéter la galerie, l’auteur jette sur moi un œil interrogatif. Je m’excuse. Elle interrompt sa signature :
– Je vous demande pardon ?
– Ne me demandez pas pardon, c’est moi qui m’excuse. Je… Voilà,
j’aurais dû certainement vous écrire pour ça, mais je voulais vous dire
merci pour… pour votre œuvre, je me reconnais dans vos écrits.
Elle perd patience.
– Ce sera tout ?
– Presque.
Les deux jeunes filles quittent le stand, me haïssant probablement
d’avoir gâché ce moment auprès de leur auteur culte. La personne
suivante n’osant pas avancer, j’en profite pour reprendre la place, face
à l’auteur.
– Je vous écoute, si vous avez presque terminé, me dit-elle.
J’arrache une petit bout de la belle feuille dédicacée, griffonne mon
numéro, mon adresse mail ainsi que mes noms et prénoms, lui donne,
espérant recevoir de ses nouvelles un jour prochain. La jeune attachée
de presse, vissée à ses côtés, intercepte le bout de papier et me
demande maintenant de laisser la place aux autres. L’auteur est
embarrassée. Elle ne contredit pas sa jeune collègue, me jette au
contraire un regard désolé. Je prends vraiment congé cette fois, je me
déteste, j’ai tout fait foirer, maintenant on me prend pour un maniaque
ou quelque chose du genre.
Je quitte le salon du livre la mort dans l’âme, me rends au MacDo,
commande à emporter, mange mon Big Mac sur le grand boulevard, assis sur
les deux dernières marches de l’entrée du métro. Une fois mon repas
englouti, j’allume une cigarette, me relève et, d’un pas lent et
désinvolte, prends la direction du tram. Je me hais...
(à suivre...)
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