Ses livres dans ma bibliothèque (partie 3)
Avec les femmes, j’ai toujours tout fait capoter...
Le tram arrive et qui aperçois-je ? Ma romancière qui vient de terminer sa séance de dédicace. Je crois halluciner, je l’imaginais repartir en limousine, tout du moins en taxi. Non, elle prend les transports en commun comme tout le monde. Je l’ignore, lui tourne le dos, monte le son de mon Ipod, afin de lui prouver que je ne suis pas le maniaque dont j’ai donné l’image.
Quelqu’un me tape dans le dos. C’est elle. Elle m’appelle par mon prénom, elle s’en est souvenue. Je crois rêver. Je reste figé, le tram arrive, nous le laissons passer. Elle s’enquiert de mon état, m’explique qu’elle est fatiguée, crevée, harassée, me demande si j’ai soif. Je lui réponds par l’affirmative. Elle traverse alors la voie sans regarder à droite ni à gauche, se retourne une fois les deux pieds posés sur le quai d’en face et me dit : « Tu viens, je t’invite. » Deux ou trois brasseries font face au Parc Expo, mais nous marchons trois minutes, traversons un dédale de rue sinueuses et pavées et entrons dans un petit bar sans prétention. Elle ne souhaite probablement pas être dérangée sans cesse, je la comprends.
Nous sommes maintenant assis face à face. Ses traits son tirés. Je n’ose entamer la conversation. Elle semble lasse. Je finis par lui demander si tout va bien, elle ne répond pas, sort une aspirine de son sac, commande une bière blanche et un grand verre d’eau. Je commande un Coca-cola.
– Merci de ne pas m’avoir jugé tout à l’heure, je lui dis.
– J’avais juste mal pour vous. C’est la foule qui vous met dans cet état ?
– Non c’est vous.
Elle me toise.
– J’aurais peut-être dû vous juger et prendre mes jambes à mon cou alors.
– Non, rassurez-vous, je ne suis pas fou. Il m’est difficile d’apparaître aux yeux des personnes qui m’intimident, tel que je suis réellement.
– Vous permettez qu’on se tutoie ?
– Je vous en prie.
– Arrête ton char s’il te plait. Je suis comme tout le monde. C’est à cause de mecs comme toi que je hais ma célébrité. Tu n’as aucune raison de te mettre dans tous tes états parce que tu me parles. C’est nul.
– Je ne me mets pas dans ces états parce que je vous parle. Je perds mes moyens lorsque je fais face à une personne que j’aime.
Elle éclate de rire.
– Tu m’aimes ? Pfff, tu ne me connais même pas. Atterris mon gars.
– Je vous connais.
– Ah bon ? Tu crois vraiment me connaître. Tu crois que mes écrits sont autobiographiques ?
– Non, je ne crois rien. Je me doute que vous ne vous racontez pas de but en blanc. J’aime votre…
– Bon, tu me tutoies ou pas ?
– Euh… Toutes mes excuses.
– Arrête ta politesse à deux balles s’il te plait, je ne suis pas ministre. J’ai que quarante balais et tu me fais prendre un sérieux coup de vieux là.
– Tu ne les fais pas…
– Enfin de la délicatesse et une phrase appropriée. Tu disais donc que tu aimais ma…
– Sensibilité. J’aime la vision que tu as des autres, ta manière de les dépeindre. Un jour, une amie m’a dit : « tu me fais penser à un personnage d’un roman de Sarah Levèque. » Un bien beau compliment en réalité.
– Écoute, c’est pas que je suis insensible à ce que tu me racontes, mais j’en ai assez de susciter de l’admiration…
– Je ne t’admire pas parce que tu écris des best-sellers… Si j’avais lu un manuscrit égaré de toi, non publié, j’aurais probablement cherché à te connaître.
Elle se lève.
– Là où le bat blesse, c’est que je ne te connais pas, et sachant que tu « m’aimes », me concernant, le charme est rompu, il aurait fallu que tu sois plus subtil dans ton approche. Au revoir et merci encore.
Elle lâche un billet de dix euros sur la table et quitte le bar d’un pas rapide. Sa bière n’a pas été entamée. Le Coca est amer me concernant. Deux gorgées suffisent à m’en écœurer. Je sors, longe les rails du tram, pensif. Elle m’a donné une seconde chance et moi je lui dis que je suis amoureux. Elle a raison, si elle n’avait pas été célèbre, me serais-je laissé aller à une telle confidence ? Je la connais, elle ne me connaît pas.
Fin
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