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Dessine-moi un roman
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8 janvier 2011

Ses livres dans ma bibliothèque (partie 3)

    rateauAvec les femmes, j’ai toujours tout fait capoter...

   Le tram arrive et qui aperçois-je ? Ma romancière qui vient de terminer sa séance de dédicace. Je crois halluciner, je l’imaginais repartir en limousine, tout du moins en taxi. Non, elle prend les transports en commun comme tout le monde. Je l’ignore, lui tourne le dos, monte le son de mon Ipod, afin de lui prouver que je ne suis pas le maniaque dont j’ai donné l’image.

Quelqu’un me tape dans le dos. C’est elle. Elle m’appelle par mon prénom, elle s’en est souvenue. Je crois rêver. Je reste figé, le tram arrive, nous le laissons passer. Elle s’enquiert de mon état, m’explique qu’elle est fatiguée, crevée, harassée, me demande si j’ai soif. Je lui réponds par l’affirmative. Elle traverse alors la voie sans regarder à droite ni à gauche, se retourne une fois les deux pieds posés sur le quai d’en face et me dit : « Tu viens, je t’invite. » Deux ou trois brasseries font face au Parc Expo, mais nous marchons trois minutes, traversons un dédale de rue sinueuses et pavées et entrons dans un petit bar sans prétention. Elle ne souhaite probablement pas être dérangée sans cesse, je la comprends.
    Nous sommes maintenant assis face à face. Ses traits son tirés. Je n’ose entamer la conversation. Elle semble lasse. Je finis par lui demander si tout va bien, elle ne répond pas, sort une aspirine de son sac, commande une bière blanche et un grand verre d’eau. Je commande un Coca-cola.

    – Merci de ne pas m’avoir jugé tout à l’heure, je lui dis.

    –  J’avais juste mal pour vous. C’est la foule qui vous met dans cet état ?

    – Non c’est vous.

     Elle me toise.

    – J’aurais peut-être dû vous juger et prendre mes jambes à mon cou alors.
   – Non, rassurez-vous, je ne suis pas fou. Il m’est difficile d’apparaître aux yeux des personnes qui m’intimident, tel que je suis réellement.
    – Vous permettez qu’on se tutoie ?
    – Je vous en prie.
    – Arrête ton char s’il te plait. Je suis comme tout le monde. C’est à cause de mecs comme toi que je hais ma célébrité. Tu n’as aucune raison de te mettre dans tous tes états parce que tu me parles. C’est nul.
    – Je ne me mets pas dans ces états parce que je vous parle. Je perds mes moyens lorsque je fais face à une personne que j’aime.
   

    Elle éclate de rire.
   

   – Tu m’aimes ? Pfff, tu ne me connais même pas. Atterris mon gars.
   – Je vous connais.
   – Ah bon ? Tu crois vraiment me connaître. Tu crois que mes écrits sont autobiographiques ?
   – Non, je ne crois rien. Je me doute que vous ne vous racontez pas de but en blanc. J’aime votre…
   – Bon, tu me tutoies ou pas ?
   – Euh… Toutes mes excuses.
   – Arrête ta politesse à deux balles s’il te plait, je ne suis pas ministre. J’ai que quarante balais et tu me fais prendre un sérieux coup de vieux là.
   – Tu ne les fais pas…
   – Enfin de la délicatesse et une phrase appropriée. Tu disais donc que tu aimais ma…
   – Sensibilité. J’aime la vision que tu as des autres, ta manière de les dépeindre. Un jour, une amie m’a dit : « tu me fais penser à un personnage d’un roman de Sarah Levèque. » Un bien beau compliment en réalité.
   – Écoute, c’est pas que je suis insensible à ce que tu me racontes, mais j’en ai assez de susciter de l’admiration…
   – Je ne t’admire pas parce que tu écris des best-sellers… Si j’avais lu un manuscrit égaré de toi, non publié, j’aurais probablement cherché à te connaître.

Elle se lève.

   – Là où le bat blesse, c’est que je ne te connais pas, et sachant que tu « m’aimes », me concernant, le charme est rompu, il aurait fallu que tu sois plus subtil dans ton approche. Au revoir et merci encore.
   

    Elle lâche un billet de dix euros sur la table et quitte le bar d’un pas rapide. Sa bière n’a pas été entamée. Le Coca est amer me concernant. Deux gorgées suffisent à m’en écœurer. Je sors, longe les rails du tram, pensif. Elle m’a donné une seconde chance et moi je lui dis que je suis amoureux. Elle a raison, si elle n’avait pas été célèbre, me serais-je laissé aller à une telle confidence ? Je la connais, elle ne me connaît pas.

Fin

dépôt légal @2010

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Commentaires
R
En fait, le problème n'est pas que ce fan admire l'auteure, c'est qu'il en est carrément tombé amoureux sur la base de ce qu'il a lu. Il est tombé amoureux de la voix intérieure de l'auteure, et elle a deviné que c'était plus qu'un sentiment de simple admiration artistique. Je pense que la réaction de l'auteure vient du fait qu'elle s'est sentie mise à nue, comme si le jeune homme avait percé son intimité. Quand on écrit, je pense qu'on ne réalise pas une seconde la portée de nos écrits sur les lecteurs. On n'imagine pas une seconde l'identification que le lecteur peut faire sur l'histoire, sur les personnages. On oublie que l'on est soi-même lecteur et que ce processus d'identification nous concerne également avec les auteurs que nous lisons. Du coup, on est très gêné, on se sent démasqué, on fait face à une personne qui nous a lu et qu'on ne connait pas... J'ai une trentaine de lecteur aujourd'hui et pour bon nombre je ne les ai jamais rencontrés, et si je correspond avec eux, je suis toujours décontenancé qu'ils aient pu s'identifier à mon histoire, à ma petite voix intérieure. On écrit pour soi à la base et les lecteurs se reconnaissent ensuite à travers nos écrits. On ne réalise jamais la portée de ce qu'on écrit. Dans l'histoire, Sarah Levèque réagit en état de défense, elle a beau être célèbre, elle est dépassée par l'idée qu'un homme puisse tomber amoureux d'elle sur la base de ses écrits. Ce qui fait d'elle une personne qui vit probablement dans la solitude (ça n'est pas dit mais je l'imagine comme ça).<br /> Bienvenue au club des rêveurs, ceux qui n'ont pas toujours la bonne idée de dire qu'ils écrivent car souvent ils passent pour des naïfs, de personnes en dehors de la réalité, ce qui n'est pas forcément faux au fond...<br /> J'aime bien ton opinion sur le charme que peut provoquer la fêlure d'un homme dans un situation qu'il essaie de maitriser mais qui lui échappe quelque peu. Je suis un spécialiste de ça...<br /> <br /> Bref, oui, ça fait du bien de pouvoir échanger là-dessus, il est vrai que je n'en ai pas souvent l'occasion pour la raison que mes visiteurs ne laissent pas souvent de commentaires, ce qui est dommage pour un blog...<br /> <br /> N'hésite pas à lire les autres nouvelles, les meilleures à mon goût sont "Working Class Hero" et "Un mur entre nous" dont mon 3e roman est la suite. La pire nouvelle qui me fait un peu honte est "l'homme invisible", tu pourras t'en passer :)<br /> <br /> Bonne journée à toi ! Bizzz
P
Je suis entièrement d'accord avec toi sur l'aspect solitaire de l'écriture. Mais comme pour tout art (et c'est beaucoup plus flagrant avec un art comme la danse par exemple, les arts de la scène en général en fait) c'est aussi une question de don et de partage. <br /> Du moment où l'on a l'immense privilège d'être publié et de gagner de l'argent grâce notre passion, j'estime qu'on doit être un minimum reconnaissant de cette situation. Même si j'imagine aisément qu'à des <br /> moments tu dois en avoir ras le c... le bol. Ras le bol. Et des fans tarés que tu ne voudrais approcher que sous protection judiciaire, il doit y en avoir à la pelle. <br /> <br /> Je suis quelqu'un d'assez solitaire en ce qui me concerne et j'ai parfois quelques difficultés interactionnelles avec mes congénères humanoïdes, mais je me vois mal me barrer au milieu d'une conversation (et d'une bière!) parce qu'un fan m'aura dit qu'il m'admirait! C'était adorable comme déclaration!<br /> Après c'est pas inintéressant cette vision de l'artiste qui nie vouloir être admiré (car il s'agit d'une dénégation, soyons réalistes!). Ça change du comportement mielleux de certains artistes qui adôôôôôôrent leurs fans si merveilleux et si dévoués! <br /> <br /> Il n'y a rien de rédhibitoire à être attendrie par un homme. Au contraire. C'est tout à fait subjectif mais ce que je trouve attendrissant quand quelqu'un prend le risque de montrer sa fragilité, la fêlure derrière le masque. Peut-être que pour certaines femmes qui ont une vision du couple archaïque (chacun à sa place et les vaches seront bien gardées), c'est un signe de faiblesse. Mais pour moi ça relève d'un courage certain que de se montrer tel que l'on est, d'assumer sa sensibilité. Ce qui est rédhibitoire ce sont les mecs qui sont prisonniers des codes du genre masculin et croient devoir se la jouer "super-couillu" insensible pour tomber les nanas! <br /> <br /> Bref bref bref (en bref quoi), je vais donc continuer de faire le tour de tes articles!
R
Merci beaucoup pour ce petit compte-rendu !<br /> <br /> Cette nouvelle n'est ni de près ni de loin autobiographique. J'ai juste pensé à une auteure que j'aime et je l'ai mise en scène. Je ne pense pas comme toi, je pense qu'elle en a plein la tête, que les milliers de personnes défilent et que c'est une tâche harassante. Quand on choisit d'écrire, c'est qu'on a un penchant certain pour la solitude... Après je t'accorde qu'on ne va pas se plaindre parce qu'on a réussi, mais il arrive que même les gens que nous aimons nous déçoivent. C'est aussi une réflexion sur l'anonymat et la célébrité. Doit-on oublier certaines règles fondamentale de bienséance parce qu'on fait face à une personne que l'on croit connaitre ? Et qui plus est qui ne nous connait pas ?<br /> Ce qui est peut-être autobiographique, c'est l'attitude du personnage. J'ai écrit cette nouvelle en 2009 et j'ai dépeint mon état d'esprit et le côté intimidé de ma personnalité à ce moment là. Le reste, pure fiction.<br /> Alors, comme ça les femmes aiment être attendries ? Ce n'est pas super rédhibitoire que d'attendrir celle que l'on drague ? Celle que l'on aime ? Surtout lorsqu'on est pas certain de la réciproque ?<br /> <br /> Merci beaucoup pour ton com, ils sont si rares sur ce blog que je m'en réjouis à chaque fois.<br /> La bienvenue à toi, fais comme chez toi !<br /> <br /> Bizzz
P
Jolie nouvelle! Je me demandais, tout en lisant, jusqu'à quel point elle était autobiographique...!<br /> Je trouve que cette femme est une vraie radasse, n'ayons pas peur des mots -ce qui serait un comble étant donné la passion qui est la nôtre! Elle est d'une suffisance! Si elle ne voulait pas être admirée, fallait qu'elle reste chez elle avec son animal de compagnie (non, parce que je n'imagine pas que quelqu'un puisse partager la vie de cette femme!) <br /> Enfin bref, je ne ferais pas la queue pour lui faire signer mon bouquin... <br /> Sinon, je crois que tu as tort, certaines femmes aiment être attendries!
M
Le personnage de Sarah..un peu trop "brute" non? je l'aurais imaginé un brin plus féminine. Ceci dit, à sa place j'aurais fait pareil! <br /> Merci pour ce partage!<br /> Comme toujours au plasir...:-)
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