Mademoiselle Idée
Mademoiselle Idée est une fugitive. Une fugitive
doublée d'une joueuse, triplée d'une capricieuse, quadruplée d'une susceptible.
C'est pourtant la meilleure amie de l'écrivain. Son alliée absolument
indispensable, cruciale même. Mademoiselle Idée est-elle une infidèle également
? Elle le peut. Elle est susceptible, ne l'oublions pas. Lorsqu'elle se
présente à l'auteur, elle ne lui donne souvent qu'une seule chance. S'il ne la
saisit pas, mademoiselle Idée se fera un malin plaisir de disparaitre de la
tête de l'écrivain et pourquoi pas de s'offrir à quelqu'un d'autre ou alors de
mourir et disparaitre dans les méandres des pensées de celui qui n'a pas saisi
l'opportunité de faire de cette demoiselle, sa dame.
Pourquoi joueuse ? Joueuse, car, elle va se présenter à vous dans les moments
qui bien souvent ne seront pas propices à l'immortalisation de mademoiselle
Idée noir sur blanc : en réunion de travail, aux WC, dans le métro, au
volant de votre chère automobile, en cuisinant, en faisant la vaisselle (pour
ma part, la vaisselle est propice à l'arrivée d'une idée, j'ignore pourquoi).
Ainsi donc, mademoiselle Idée se présente à vous, sans ménagement. Elle se
considère comme désirée et elle débarque quand elle veut, si on tient assez à
elle, on se démènera pour faire d'elle une star, celle de ses prochains écrits.
Pourquoi fugitive ? Chez moi on dit : bonne idée ne se présentera jamais
deux fois. Une idée, c'est comme la foudre, en réalité on se sait jamais où et
quand elle va tomber. Ainsi donc, si l'on n'a pas prévu son arrivée fulgurante
dans notre journée, si on ne peut la noter ou si l'on se dit : "bonne idée,
j'y repenserai ce soir", on fait alors preuve de grande naïveté.
Mademoiselle Idée doit se faire capturer. Le moyen le plus efficace est de la
noter sur un cahier aussitôt qu'elle se présente à nous. Un dictaphone peut
aussi faire l'affaire. Et si par chance, elle arrive pile lorsque l'on vient
d'ouvrir Word, il suffit simplement de laisser ses doigts galoper sur le
clavier afin de développer mademoiselle Idée. C'est un mariage. Sa robe de
mariée est constituée de mots dans des phrases, le marié est l'auteur bien sûr,
et l'enfant c'est la concrétisation de ce mariage entre l'auteur et l'idée, à
savoir l'histoire...
Si vous écrivez, ou désirez un jour écrire, il vous faudra être prêt. Prêt à
noter. Sortir les mains de l'évier, de la pâte, se ranger sur le côté, sortir
un stylo, votre dictaphone ou votre téléphone mobile (ils proposent tous
maintenant une fonction dictaphone) et capturer l'idée.
Pourquoi capricieuse ? Parce que mademoiselle Idée se fiche vos possibilités de
lui accorder toute l'attention qu'elle mérite. Comme déjà dit, on ne traite pas
Mademoiselle comme n'importe quelle inconnue. Mademoiselle fuira donc aussitôt
qu'on ne l'aura pas prise suffisamment au sérieux pour la coucher là sur le
papier ou l'enregistrer.
Susceptible car, souvent, elle préfèrera mourir que d'accepter que l'on reporte
à plus tard le fait de la capturer quelque part. Elle ne manquera pas de se
faire regretter lorsque l'écrivain, une fois au calme, prendra sa plume ou son
ordinateur afin d'immortaliser (trop tard) mademoiselle. Lorsque ce dernier ne parviendra
plus à se souvenir de cette idée merveilleuse qui aurait pu nourrir une
nouvelle, un roman ou simplement une situation de roman en cours qui commençait
sérieusement à s'enliser, il se tapera la tête contre la table,
implorera mademoiselle Idée de revenir à lui. Elle s'en approchera telle
une petite fée, grimpera avec ses ailes et sa baguette sur le bout du nez du malheureux, le regardera dans les yeux d'un air "je suis tellement déçue,
tu as tout gâché, tu ne me mérites pas" et s'envolera, soit pour aller
s'écraser et mourir contre la paroi frontale de l'écrivain, soit pour quitter la maison, et chercher un autre auteur qu'elle espèrera plus
réceptif.
Si vous écrivez, soyez prêt à accueillir cette chieuse de mademoiselle Idée,
sans elle, vous ne ferez rien....